Vie locale

Publié le mardi 28 avril 2020

Après plus d’un mois d’isolement, comment personnels et résidents vivent cette période de confinement très contraignante ?

Lisiane Uhring

« C’est toujours un grand plaisir de travailler avec nos résidents, après beaucoup d’inquiétudes concernant le coronavirus, peu à peu ils comprennent mieux le problème et les enjeux du confinement notamment depuis que nous avons mis en place une communication numérique. Je leur ai expliqué que le plus dur dans ce confinement était de garder son calme et gérer ses émotions. Vivre en collectivité n’est pas toujours facile, alors dans cette période, les travers des uns et des autres sont plus exacerbés. Mais les professionnels ont appris à réagir à ces mouvements d’humeur et ils sont en capacité d’intervenir au plus vite en proposant des alternatives et dédramatiser. En tant que directrice, je les rencontre en réunion chaque lundi pour les informer des événements, écouter et répondre à toutes leurs questions. Nous apprenons aussi quelques jeux de détente, en apprenant à respirer et se détendre.

Comme nous n’avons pas de cas de COVID-19 actuellement nous maintenons une gestion de l’établissement avec le respect strict des gestes barrière mais les personnes ne sont pas confinées individuellement dans leur chambre. Le midi elles mangent chacune à une table. Ils continuent à faire des activités diversifiées en tout petit groupe dans tous les espaces y compris dans les locaux de l’Espace des Arts. Ils font beaucoup d’activités en extérieur dans l’enceinte de l’établissement. Grâce aux bonnes conditions météo, le fait de ne pas rester enfermés dans les bâtiments est essentiel pour éviter tant la dépression que l’agressivité. Ce beau temps permet également de faire des balades, important pour maintenir une condition physique et apaisante pour les personnes qui ne sont pas en capacité de faire des activités et qui déambulent beaucoup.

Les personnels sont tous engagés, responsables et bienveillants (aucune défection à ce jour). Pour les aider eux aussi à gérer toute cette émotion, les questions sans réponse, la chef de service et moi-même nous ne relayons pour prendre le temps de les écouter, les conseillers.

Les équipes travaillent 12h pendant trois jours, nous faisons systématiquement un point au début de leur roulement et à la fin pour évaluer les comportements, mettre en place des protocoles pour maintenir une cohérence du projet et des décisions qui doivent être tenues par tous pour ne pas destabiliser les personnes accueillies. Elles ont perdu beaucoup de repères, il est essentiel de leur en donner de nouveaux. Ce cadre est rassurant pour elles. »

 

Au quotidien, qu’est-ce qui est le plus dur à gérer ?

« L’ennui est un grand vecteur d’angoisse. Il n’y a plus de repère dans le temps, chaque jour ressemble au précédent, il faut donc innover, surprendre, plaisanter, maintenir de la joie, du rire et du plaisir.

Pour les personnes qui présentent en plus de leur déficience des troubles du comportement, il faut trouver pour chacun un rythme particulier qui évite ses angoisses. La plus grande difficulté tient au fait que la dépression ou l’agressivité se diffuse comme un « virus ». Les professionnels ne sont pas formés à la gestion de la violence. Elle reste rare, mais souvent nous laisse épuisés et impuissants. Il est vraiment important de maintenir une cohésion de groupe où chacun se soutient. »

 

Avez-vous réussi à maintenir des relations entre les résidents et leur famille, notamment via internet ?

« Peu formés aux outils numériques, nous avons commencé tard. Mais depuis 10 jours, tout le monde s’y est mis. Toujours en contact avec chaque personne habituellement présente en journée et actuellement confinée en famille, j’ai vite compris que pour elles aussi c’était important de garder du contact avec leurs amis voire petits amis du foyer. Bien sûr, le téléphone fonctionnait mais pour certains qui ont des problèmes de compréhension et/ou d’élocution la caméra ne filtre plus les messages non verbaux.

Nous avons créé sur facebook un groupe privé ouvert à toutes les personnes qui ont un lien étroit avec le foyer. Messenger est un média populaire et facile d’accès y compris d’un téléphone. Nous communiquons également avec Skype, un peu avec Zoom mais parfois notre réseau de connexion est insuffisant. C’est pourquoi sur notre page facebook nous invitons nos amis à prendre d’abord contact par téléphone pour organiser un rendez-vous vidéo conférence. C’est un grand moment de bonheur pour les personnes qui peuvent communiquer avec leurs proches. D’ailleurs ils ont pu échanger et voir via l’écran des membres de leur famille qu’ils n’avaient pas vu depuis longtemps parce que pas à proximité.

Nous avons pu constater combien ces relations avaient transformé certains résidents plus introvertis. Cette communication en réseau est devenue une activité à part entière. Afin qu’elle ne devienne pas le centre de leurs préoccupations nous l’avons séquencé et couplé avec une formation déjà commencée sur les outils multimédias, tablettes et téléphones portables. Certains sont en capacité à présent de naviguer sur web… »

 

L’animation est une activité essentielle au quotidien. Comment vous êtes-vous organisée pour proposer des activités régulières à vos résidents ?

« Effectivement, comme j’ai pu y répondre dans la question 1, c’est le socle de notre travail, les activités ne sont pas un but en soi mais un moyen. Si nos professionnels ne sont pas formés à l’accompagnement médical, l’accompagnement éducatif est au cœur de leurs pratiques pour développer ou maintenir les compétences.

Ce qui change entre avant et pendant le confinement, c’est la perte des activités sociales. Les échanges, les rencontres, les sorties sur l’extérieur sont indispensables pour développer leurs compétences sociales. Le travail d’inclusion mis en place ces derniers mois avec un succès certain est un peu mis de côté mais la solidarité des personnes extérieures qui se crée avec cette crise sanitaire, nous laisse espérer qu’après le confinement le regard différent porté sur les personnes vulnérables nous permettra de nouveaux échanges plus vrais et plus riches avec les personnes en situation de handicap. »

 

L’Espace des Arts fonctionne-t-il toujours ? Comment gardez-vous le lien avec les artistes qui habituellement viennent chez vous en résidence ?

« Nous avons dû interrompre la programmation jusqu’en septembre 2020. Les résidences d’artistes et les ateliers culturels qui ont été annulés devraient être reportés à la rentrée. Mais beaucoup d’incertitudes règnent dans le monde artistique et culturel très touché par cette crise sanitaire. Nous avons gardé un contact avec tous les artistes qui programment chaque semaine des vidéo conférences avec un groupe de résidents. Plasticiens, musiciens, comédiens de la région mais également sur toute la France ont répondu présents et ils permettent à nos résidents de découvrir le confinement des artistes et une autre façon de travailler avec eux. Le dimanche 25 avril à 16h, Elisa Fiasca et David Commenchal ont offert un concert à l’extérieur dans le parc en respectant les gestes barrières. Jolie surprise pour eux. »

 

La sortie du confinement se précise. Comment voyez-vous l’après 11 mai en ce qui vous concerne ?

« Déjà, je ne suis pas sûre que les établissements médico-sociaux vont être sur le même calendrier que l’ensemble de la population. J’espère qu’ils pourront tous être testés, de même que les personnes en accueil de jour impatiente de retrouver le chemin de la Beaugeardière.

Comment ferons-nous pour les transports ? est-il judicieux de reprendre des activités qu’ils aiment, se rendre dans les magasins par exemple. Ils adorent aller au cinéma, au restaurant, au concert quand pourront-ils y retourner ? Pourront-ils se rendre cet été en séjour de vacances ? Beaucoup de questions sont sans réponse ce jour 27 avril.

Nous avons vraiment répété et répété l’importance des gestes barrières, beaucoup les ont intégrés. Nous les avons également formés au port du masque, difficile pour eux. Petit à petit, ils s’y accommodent ainsi que les visières qui ont l’avantage de ne pas cacher les expressions du visage, le respect des mesures de protection ont permis jusqu’à ce jour de ne pas avoir été contaminé (ni personnel, ni résident). »

 

Les travaux d’agrandissement de la résidence de la Beaugeardière devaient démarrer au mois de juin. Sont-ils toujours programmés à cette date ?

« La date est fixée au 1er juin, beaucoup d’incertitudes sur les métiers du bâtiment. C’est Orne Habitat qui gère toute cette logistique, nos interlocuteurs sont actuellement moins disponibles. Nous espérons avoir très vite un calendrier car pour nos résidents c’est à nouveau un grand changement dans leurs repères. Ces travaux sont indispensables pour la qualité de leur vie mais le temps des travaux risque d’ajouter à une situation déjà complexe. »

 

Quel message souhaitez-vous adresser à la population ? Avez-vous besoin de soutien ?

« Tous les gestes d’intérêt et d’amitiés sont les bienvenus. Je fais à appel à l’esprit d’imagination et de création de chacun et j’espère qu’à l’issue du confinement ils seront nombreux à revenir à l’Espace des Arts et participer à nos futures animations pour créer les liens d’une société inclusive. »

 

Propos recueillis par Bernard Bramoullé

 

 

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